Chroniques

Gare au rap mademoiselle !

Encore en 2020, les femmes doivent se justifier d'écouter du rap hardcore

By

LiziAza

on

Apr 29, 2020

Rap & Féminisme : une alliance controversée

« Si t'es une michto vient voir du cash j'en ai, pas b'soin d'pilule du lendemain j'te crache dans l'nez ! » Ça, ce sont mes amies et moi en voiture, fenêtres baissées, s'égosillant sur le premier couplet de Booba dans Pinnochio. Pour un esprit réducteur, nous seront catégorisé dans un premier temps au sens littéral de : michtos qui aiment se faire cracher dans le nez donc, ensuite de racailles, ou encore de « bonhommes » qui ne connaissent aucun sens de la féminité. Encore en 2020, les femmes doivent se justifier d'aimer le rap dit « macho ». Je ne compte plus les débats en soirées que j'ai eu à essayer d'exprimer ma vision sur le sujet, faire comprendre que moi aussi en tant que femme j'ai le droit d'écouter cette partie du rap catégorisé de vulgaire, sexiste, anti-féministe si j'en ai simplement l'envie. C'est mon droit, cela ne m'empêchera en aucun cas d'avoir et de défendre mes convictions, mes valeurs, mes idéologies féministes en d'autre temps. C'est d'ailleurs l'un des principaux fondements moraux du féminisme, le libre-choix...

J'aime le rap, depuis toujours. Pendant mon enfance je suis passée par toutes les phases musicales. A chaque rentrée scolaire j'embarquais dans un nouveau style, j'ai eu ma période punk rock, ma période reggae, émo, électro...J'ai pioché du bon dans tout et me suis construit un goût pour la musique très éclectique. Mais ma véritable histoire d'amour, ça a toujours été le rap français. Le rap, c'est mon grand frère Paul, c'est l'émancipation, c'est la rage et la tendresse des mots, c'est la colère et la douceur du cœur, c'est de la poésie. J'en aime toutes ses couleurs et toutes ses variantes. Le rap m'accompagne au quotidien, il y a une chanson pour chacune de mes humeurs. Alors, pourquoi n'aurais-je pas le droit d'écouter ce qui me plaît ? Ou du moins, pourquoi devrais-je subir le discours d'une catégorie de mecs qui se sentent obligés d'expliquer aux femmes à quel point le rap est sexiste dès que je place un Damso en soirée ?

Pour beaucoup, ce style musical ne s'apparente qu'à une vision dépréciative de la femme qui peut en encourager certaines à avoir cette image là d'elles-mêmes. C'est faux. Nous sommes en 2020 et nous vivons dans une société patriarcale et inégalitaire. Le rap n'est pas à l'origine de cette réalité quotidienne, il en est juste le reflet. C'est si simple d'ignorer que c'est la société elle-même qui doit évoluer et beaucoup trop facile de rejeter la faute sur des artistes. Certains d'entre eux sont très influents certes, ils ne sont pourtant pas des figures politiques ou d'autorités. Il ne faut pas oublier que la musique, le rap, est un art mais reste aussi un divertissement. Chacun réagit différemment en fonction de son histoire et de sa personnalité face à une situation. Pour les paroles d'une chanson c'est la même chose, on peut se mettre à distance et ne pas se sentir concerné directement. Alors oui, parfois ça nous anime avec mon gang de p'tites meufs toutes pomponnées et bien sapées d'adopter une attitude masculine, de balancer un bon gros rap aux paroles bien crues et de brailler fort le temps d'une chanson. Parce que oui, en plus on la connaît par cœur. Et pour autant, je continuerais à très mal réagir si je me fais insulter de « grosse pute » dans la rue par un mec frustré de s'être fait recaler. Tu ne vois pas le lien ? Et pourtant il est bien présent. Après le discours « Tu ne peux pas défendre des convictions féministes si tu écoutes du Booba », tu n'as aussi malheureusement pas le droit de réagir si tu te fais insulter dans la rue et que tu écoutes du rap vulgaire aux paroles sexiste. Car pour cette catégorie de personne, si tu écoutes, tu cautionnes, et si tu cautionnes tu encourages, donc ne te plaint pas. Très proche de l'idée de ne pas s'étonner d'être accostée ou agressée si tu portes une jupe d'ailleurs, tout se rejoint.

Je suis d'accord dans le fait qu'il y a certainement un âge pour écouter ce genre de rap, avant tout pour avoir de l'objectivité et savoir prendre du recul sur les mots. Mais personnellement, je suis bien plus outrée et choquée par l'image que renvoi la publicité au quotidien, ou encore certaines émissions de télé réalité quand il s'agit de l'image de la femme que par certaines paroles de rappeurs auxquels il me suffit juste de ne pas me comparer si je ne me sens pas concernée. Une étude du CSA rendue publique en octobre dernier démontre à quel point les femmes apparaissent majoritairement comme des consommatrices et des objets de désir à la télévision. Par exemple, dans la publicité, l'étude révèle que les fonctions sont inégalement réparties: "Les rôles d'experts sont presque exclusivement occupés par des hommes" (à hauteur de 82% précisément). A l'inverse, les personnages sexualisés ou dénudés, de même que les consommateurs, sont majoritairement féminins.

Les hommes ont bien le droit d'exprimer leur côté sensible, leur part de féminité, pourquoi les femme n'auraient-elles pas le droit d'exprimer leur part de masculinité ? Je pèse mes mots, je ne réduis pas la masculinité au sexisme, je parle ici d'un côté plus brutal, plus agressif. Veut-on d'une société lisse, sans aucune vulgarité ? Certaines choses sont interdites de nos jours et cela est nécessaire, mais attention à la dérive et du risque de basculer dans une forme de puritanisme. Finalement, les femmes aussi ont le droit d'aimer, d'écouter ou de dire des choses crues et sexualisées, parce qu'elles sont, tout comme les hommes, libres de l'être également.

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